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insouciance. Les officiers étaient enchantés de ce dénouement ; les soldats riaient de leur alarme ; madame Schwartz, hors d’elle-même, courait de tous côtés, et son mari explorait tristement le fossé, craignant que la commotion des coups de canon et de la fusillade n’y eût fait tomber le pauvre Gottlieb, réveillé en sursaut dans sa course périlleuse. Je le suivis dans cette exploration. Le moment eût été bon, peut-être, pour tenter de m’évader moi-même ; car il me sembla voir des portes ouvertes et des gens distraits ; mais je ne m’arrêtai pas à cette pensée, absorbée que j’étais par celle de retrouver le pauvre malade qui m’a témoigné tant d’affection.

« Cependant M. Schwartz, qui ne perd jamais tout à fait la tête, voyant poindre le jour, me pria de retourner chez moi, vu qu’il était tout à fait contraire à sa consigne de me laisser errer ainsi à des heures indues. Il me reconduisit, afin de me renfermer à clef ; mais le premier objet qui frappa mes regards en rentrant dans ma chambre fut Gottlieb, paisiblement endormi sur mon fauteuil. Il avait eu le bonheur de se réfugier là avant que l’alarme fût tout à fait répandue dans la forteresse, ou bien son sommeil avait été si profond et sa course si agile, qu’il avait pu échapper à tous les dangers. Je recommandai à son père de ne pas l’éveiller brusquement, et promis de veiller sur lui jusqu’à ce que madame Schwartz fût avertie de cette heureuse nouvelle.

« Lorsque je fus seule avec Gottlieb, je posai doucement la main sur son épaule, et lui parlant à voix basse, j’essayai de l’interroger. J’avais ouï dire que les somnambules peuvent se mettre en rapport avec des personnes amies et leur répondre avec lucidité. Mon essai réussit à merveille.

« — Gottlieb, lui dis-je, où as-tu donc été cette nuit ?