Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272

« — Cette nuit ? répondit-il ; il fait déjà nuit ? Je croyais voir briller le soleil du matin sur les toits.

« — Tu as donc été sur les toits ?

« — Sans doute. Le rouge-gorge, ce bon petit ange, est venu m’appeler à ma fenêtre ; je me suis envolé avec lui, et nous avons été bien haut, bien loin dans le ciel, tout près des étoiles, et presque dans la demeure des anges. Nous avons bien, en partant, rencontré Belzébuth qui courait sur les toitures et sur les parapets pour nous attraper. Mais il ne peut pas voler, lui ! parce que Dieu le condamne à une longue pénitence, et il regarde voler les anges et les oiseaux sans pouvoir les atteindre.

« — Et après avoir couru dans les nuages, tu es redescendu ici, pourtant ?

« — Le rouge-gorge m’a dit : allons voir ma sœur qui est malade, et je suis revenu avec lui te trouver dans ta cellule.

« — Tu pouvais donc entrer dans ma cellule, Gottlieb ?

« — Sans doute, j’y suis venu plusieurs fois te veiller depuis que tu es malade. Le rouge-gorge vole les clefs sous le chevet de ma mère, et Belzébuth a beau faire, il ne peut pas la réveiller une fois que l’ange l’a endormie, en voltigeant invisible autour de sa tête.

« — Qui t’a donc enseigné à connaître si bien les anges et les démons ?

« — C’est mon maître ! répondit le somnambule avec un sourire enfantin où se peignit un naïf enthousiasme.

« — Et qui est ton maître ? lui demandai-je.

« — Dieu, d’abord, et puis… le sublime cordonnier !

« — Comment l’appelles-tu, ce sublime cordonnier ?

« — Oh ! c’est un grand nom ! mais il ne faut pas le dire, vois-tu ; c’est un nom que ma mère ne connaît pas. Elle ne sait pas que j’ai deux livres dans le trou de la cheminée. Un que je ne lis pas, et un autre que je