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était d’une expression indéfinissable. « Gottlieb, lui a-t-il dit en lui parlant bien bas, il faut que la Porporina soit délivrée dans trois nuits. Cela dépend de toi ; tu peux prendre les clefs de sa chambre sous l’oreiller de ta mère, lui faire traverser votre cuisine, et l’amener jusqu’ici, au bout de l’esplanade. Là je me charge du reste. Préviens-la, afin qu’elle se tienne prête ; et souviens-toi que si tu manques de prudence et de zèle, elle, toi et moi sommes perdus. »

« Voilà où j’en suis. Cette nouvelle m’a rendue malade d’émotion. Toute cette nuit, j’en ai eu la fièvre ; toute cette nuit, j’ai entendu le violon fantastique. Fuir ! quitter cette triste prison, échapper surtout aux terreurs que me cause ce Mayer ! Ah ! s’il ne faut risquer que ma vie pour cela, je suis prête ; mais quelles seront les conséquences de ma fuite pour Gottlieb, pour ce factionnaire que je ne connais pas et qui se dévoue si gratuitement, enfin pour ces complices inconnus, qui vont assumer sur eux une nouvelle charge ? Je tremble, j’hésite, je ne suis décidée à rien. Je vous écris encore sans songer à préparer ma fuite. Non ! je ne fuirai pas, à moins d’être rassurée sur le sort de mes amis et de mes protecteurs. Ce pauvre Gottlieb est résolu à tout, lui ! Quand je lui demande s’il ne redoute rien, il me répond qu’il souffrirait avec joie le martyre pour moi ; et quand j’ajoute que peut-être il aura des regrets de ne plus me voir, il ajoute que cela le regarde, que je ne sais pas ce qu’il compte faire. D’ailleurs tout cela lui paraît un ordre du ciel, et il obéit sans réflexion à la puissance inconnue qui le pousse. Mais moi, je relis attentivement le billet des Invisibles, que j’ai reçu ces jours derniers, et je crains que l’avis de ce factionnaire ne soit, en effet, le piège dont je dois me méfier. J’ai encore quarante-huit heures devant moi. Si Mayer reparaît, je risque tout ; s’il continue à m’oublier,