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ai juré que quand même il mourrait sous vos yeux, je ne toucherais pas à son masque. Courez à la voiture, signora, apportez-moi ma gourde d’eau-de-vie, qui est sur le siège ; quelques gouttes le ranimeront. »

Consuelo voulut se lever, mais le chevalier la retint. S’il devait mourir, il voulait expirer à ses pieds.

« C’est encore juste, dit Karl, qui, malgré sa rude enveloppe, comprenait les mystères de l’amour (il avait aimé) ! Vous le soignerez mieux que moi. Je vais chercher la gourde. Tenez, signora, ajouta-t-il à voix basse, je crois bien que si vous l’aimiez un peu, et que si vous aviez la charité de le lui dire, il ne se laisserait pas mourir. Sans cela, je ne réponds de rien. »

Karl s’en alla en souriant. Il ne partageait pas tout à fait l’effroi de Consuelo ; il voyait bien que déjà la suffocation du chevalier commençait à s’alléger. Mais Consuelo épouvantée, et croyant assister aux derniers moments de cet homme généreux, l’entoura de ses bras et couvrit de baisers le haut de son large front, seule partie de son visage que le masque laissât à découvert.

« Oh mon Dieu, dit-elle ; ôtez cela ; je ne vous regarderai pas, je m’éloignerai ; au moins vous pourrez respirer. »

L’inconnu prit les deux mains de Consuelo, et les posa sur sa poitrine haletante, autant pour en sentir la douce chaleur que pour lui ôter l’envie de le soulager en découvrant son visage. En ce moment, toute l’âme de la jeune fille était dans cette chaste étreinte. Elle se rappela ce que Karl lui avait dit d’un air moitié goguenard, moitié attendri.

« Ne mourez pas, dit-elle à l’inconnu ; oh ! ne vous laissez pas mourir ; ne sentez-vous donc pas bien que je vous aime ? »

Elle n’eut pas plus tôt dit ces paroles, qu’elle crut les