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levée. Elle se borna à jeter de temps en temps un regard dans le parc, sans y voir passer personne, si ce n’est de trop loin pour l’observer, et à contempler le faîte du château qui s’illuminait le soir de rares lumières toujours éteintes de bonne heure.

Elle ne tarda pas à tomber dans une profonde mélancolie, et l’ennui, qu’elle avait victorieusement combattu à Spandaw, vint l’assaillir et la dominer dans cette riche demeure, au milieu de toutes les aises de la vie. Est-il des biens sur la terre dont on puisse jouir absolument seul ? La solitude prolongée assombrit et désenchante les plus beaux objets ; elle répand l’effroi dans l’âme la plus forte. Consuelo trouva bientôt l’hospitalité des Invisibles encore plus cruelle que bizarre, et un dégoût mortel s’empara de toutes ses facultés. Son magnifique clavecin lui sembla répandre des sons trop éclatants dans ces chambres vides et sonores, et les accents de sa propre voix lui firent peur. Lorsqu’elle se hasardait à chanter, si les premières ombres de la nuit la surprenaient dans cette occupation, elle s’imaginait entendre les échos lui répondre d’un ton courroucé, et croyait voir courir, contre les murs tendus de soie et sur les tapis silencieux, des ombres inquiètes et furtives, qui, lorsqu’elle essayait de les regarder, s’effaçaient et allaient se tapir derrière les meubles pour chuchoter, la railler et la contrefaire. Ce n’étaient pourtant que les brises du soir courant parmi le feuillage qui encadrait ses croisées, ou les vibrations de son propre chant qui frémissaient autour d’elle. Mais son imagination, lasse d’interroger tous ces muets témoins de son ennui, les statues, les tableaux, les vases du Japon remplis de fleurs, les grandes glaces claires et profondes, commençait à se laisser frapper d’une crainte vague, comme celle que produit l’attente d’un événement inconnu. Elle se rap-