Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349

pelait le pouvoir étrange attribué aux Invisibles par le vulgaire, les prestiges dont elle avait été environnée par Cagliostro, l’apparition de la femme blanche dans le palais de Berlin, les promesses merveilleuses du comte de Saint-Germain relativement à la résurrection du comte Albert : elle se disait que toutes ces choses inexpliquées émanaient probablement de l’action secrète des Invisibles dans la société et dans sa destinée particulière. Elle ne croyait point à leur pouvoir surnaturel, mais elle voyait bien qu’ils s’attachaient à conquérir les esprits par tous les moyens, en s’adressant soit au cœur, soit à l’imagination, par des menaces ou des promesses, par des terreurs ou des séductions. Elle était donc sous le coup de quelque révélation formidable ou de quelque mystification cruelle, et, comme les enfants poltrons, elle eût pu dire qu’elle avait peur d’avoir peur.

À Spandaw, elle avait roidi sa volonté contre des périls extrêmes, contre des souffrances réelles ; elle avait triomphé de tout avec vaillance ; et puis la résignation lui semblait naturelle à Spandaw. L’aspect sinistre d’une forteresse est en harmonie avec les tristes méditations de la solitude ; au lieu que dans sa nouvelle prison tout semblait disposé pour une vie d’épanchement poétique ou de paisible intimité ; et ce silence éternel, cette absence de toute sympathie humaine en détruisaient l’harmonie comme un monstrueux contre-sens. On eût dit de la délicieuse retraite de deux amants heureux ou d’une élégante famille, riant foyer tout à coup haï et délaissé à cause de quelque rupture douloureuse ou de quelque soudaine catastrophe. Les nombreuses inscriptions qui la décoraient, et qui se trouvaient placées dans tous les ornements, ne la faisaient plus sourire comme d’emphatiques puérilités. C’étaient des encouragements joints à des menaces, des éloges conditionnels corrigés par d’hu-