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— Croyez-vous donc que ce soit le roi qui vous parle ?

— Je ne saurais l’oublier.

— Il faut pourtant vous y décider. Jamais le roi ne vous parlera ; ce n’est pas au roi que vous avez sauvé la vie, Mademoiselle.

— Mais je n’ai pas retrouvé ici le baron de Kreutz.

— Est-ce un reproche ? Il serait injuste. Le roi n’eût pas été hier s’informer de votre santé. Le capitaine Kreutz y a été.

— La distinction est trop subtile pour moi, monsieur le capitaine.

— Eh bien, tâchez de l’apprendre. Tenez, quand je mettrai mon chapeau sur ma tête, comme cela, un peu à gauche, je serai le capitaine ; et quand je le mettrai comme ceci, à droite, je serai le roi : et selon ce que je serai, vous serez Consuelo, ou mademoiselle Porporina.

— J’entends, Sire ; eh bien, cela me sera impossible. Votre Majesté est libre d’être deux, d’être trois, d’être cent ; moi je ne sais être qu’une.

— Vous mentez ! vous ne me parleriez pas sur le théâtre devant vos camarades comme vous me parlez ici.

— Sire, ne vous y fiez pas !

— Ah çà, vous avez donc le diable au corps aujourd’hui ?

— C’est que le chapeau de Votre Majesté n’est ni à droite ni à gauche, et que je ne sais pas à qui je parle. »

Le roi, vaincu par l’attrait qu’il éprouvait, dans ce moment surtout, auprès de la Porporina, porta la main à son chapeau d’un air de bonhomie enjouée, et le mit sur l’oreille gauche avec tant d’exagération, que sa terrible figure en devint comique. Il voulait faire le simple mortel et le roi en vacances autant que possible ; mais