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sagesse et de leur justice. Cependant, quand même j’aurais le bonheur d’avoir toute une académie pour m’instruire, je crois que mes sympathies ne changeraient pas. Mais je reprends mon récit.

— Oui, je t’ai interrompue par des réflexions pédantes, et je t’en demande pardon. Poursuis. Le comte Albert, engoué des exploits de ses pères (cela est bien concevable et bien pardonnable), amoureux de toi, d’ailleurs, ce qui est plus naturel et plus légitime encore, n’admettait pas que tu ne fusses pas son égale devant Dieu et devant les hommes ? Il avait bien raison, mais ce n’était pas un motif pour déserter la maison paternelle, et pour laisser tout son monde dans la désolation.

— C’est là que j’en voulais venir, reprit Consuelo ; il allait rêver et méditer depuis longtemps dans la grotte des hussites au Schreckenstein, et il s’y plaisait d’autant plus, que lui seul, et un pauvre paysan fou qui le suivait dans ses promenades, avaient connaissance de ces demeures souterraines. Il prit l’habitude de s’y retirer chaque fois qu’un chagrin domestique ou une émotion violente lui faisaient perdre l’empire de sa volonté. Il sentait venir ses accès, et, pour dérober son délire à des parents consternés, il gagnait le Schreckenstein par un conduit souterrain qu’il avait découvert, et dont l’entrée était une citerne située auprès de son appartement, dans un parterre de fleurs. Une fois arrivé à sa caverne, il oubliait les heures, les jours et les semaines. Soigné par Zdenko, ce paysan poète et visionnaire, dont l’exaltation avait quelques rapports avec la sienne, il ne songeait plus à revoir la lumière et à retrouver ses parents que lorsque l’accès commençait à passer ; et malheureusement ses accès devenaient chaque fois plus intenses et plus longs à dissiper. Une fois enfin, il resta si longtemps absent, qu’on le crut mort, et que j’entrepris de décou-