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pure de mon noble Albert me suivit, comme une égide et une promesse d’avenir, à travers les dangers et les fatigues de mon voyage.

— Et pourquoi allais-tu à Vienne plutôt qu’à Venise ?

— Mon maître Porpora venait d’y arriver, amené par notre ambassadeur qui voulait lui faire réparer sa fortune épuisée, et retrouver son ancienne gloire pâlie et découragée devant les succès de novateurs plus heureux. Je fis heureusement la rencontre d’un excellent enfant, déjà musicien plein d’avenir, qui, en passant par le Bœhmer-Wald, avait entendu parler de moi, et s’était imaginé de venir me trouver pour me demander ma protection auprès du Porpora. Nous revînmes ensemble à Vienne, à pied, souvent bien fatigués, toujours gais, toujours amis et frères. Je m’attachai d’autant plus à lui qu’il ne songea pas à me faire la cour, et que je n’eus pas moi-même la pensée qu’il pût y songer. Je me déguisai en garçon, et je jouai si bien mon rôle, que je donnai lieu à toutes sortes de méprises plaisantes ; mais il y en eut une qui faillit nous être funeste à tous deux. Je passerai les autres sous silence, pour ne pas trop prolonger ce récit, et je mentionnerai seulement celle-là parce que je sais qu’elle intéressera Votre Altesse, beaucoup plus que tout le reste de mon histoire.


VIII.

« Je devine que tu vas me parler de lui, dit la princesse en écartant les bougies pour mieux voir la narratrice, et en posant ses deux coudes sur la table.

— En descendant le cours de la Moldaw, sur la frontière bavaroise, nous fûmes enlevés par des recruteurs au service du roi votre frère, et flattés de la riante espé-