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de réforme, et que des hommes de sang avaient souillé le sanctuaire en voulant le défendre.

« Il fallait donc porter la lumière dans son esprit, faire la part des fautes et des excès dans les deux camps, lui apprendre à embrasser courageusement la défense des novateurs, tout en déplorant leurs inévitables emportements, l’exhorter à abandonner le parti de la ruse, de la violence et de l’asservissement, tout en reconnaissant l’excellence de certaine mission dans un passé plus éloigné. Je n’eus pas de peine à l’éclairer. Il avait déjà prévu, déjà deviné, déjà conclu avant que j’eusse achevé de prouver. Ses admirables instincts répondaient à mes inspirations ; mais, quand il eut achevé de comprendre, une douleur plus accablante que celle de l’incertitude s’empara de son âme consternée. La vérité n’était donc reconnue nulle part sur la terre ! La loi de Dieu n’était plus vivante dans aucun sanctuaire ! Aucun peuple, aucune caste, aucune école ne pratiquait la vertu chrétienne et ne cherchait à l’éclaircir et à la développer ! Catholiques et protestants avaient abandonné les voies divines ! Partout régnait la loi du plus fort, partout le faible était enchaîné et avili ; le Christ était crucifié tous les jours sur tous les autels érigés par les hommes ! La nuit s’écoula dans cet entretien amer et pénétrant. Les horloges sonnèrent lentement les heures sans qu’Albert songeât à les compter. Je m’effrayais de cette puissance de tension intellectuelle, qui me faisait pressentir chez lui tant de goût pour la lutte et tant de facultés pour la douleur. J’admirais la mâle fierté et l’expression déchirante de mon noble et malheureux enfant ; je me retrouvais en lui tout entière ; je croyais lire dans ma vie passée et recommencer avec lui l’histoire des longues tortures de mon cœur et de mon cerveau ; je contemplais, sur son large front éclairé par la lune, l’inutile beauté