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« Dans ses voyages, Albert avait connu le jeune Trenck ; il s’était lié avec lui d’une amitié chaleureuse. Trenck, aimé de la princesse de Prusse, et persécuté par le roi Frédéric, écrivit à mon fils ses joies et ses malheurs ; il l’engageait ardemment à venir le trouver à Dresde, pour lui donner conseil et assistance. Albert fit ce voyage, et à peine eut-il quitté le sombre château de Riesenburg, que la mémoire, le zèle, la raison, lui revinrent. Trenck avait rencontré mon fils dans la milice des néophytes Invisibles. Là ils s’étaient compris et juré une fraternité chevaleresque. Informé par Marcus de leur projet d’entrevue, je courus à Dresde, je revis Albert, je le suivis en Prusse, où il s’introduisit dans le palais des rois sous un déguisement pour servir l’amour de Trenck et remplir un message des Invisibles. Marcus jugeait que cette activité et la conscience d’un rôle utile et généreux sauveraient Albert de sa dangereuse mélancolie. Il avait raison ; Albert reprenait à la vie parmi nous ; Marcus voulait, au retour, l’amener ici et l’y garder quelque temps dans la société des plus vénérables chefs de l’ordre ; il était convaincu qu’en respirant cette véritable atmosphère vitale de son âme supérieure, Albert recouvrerait la lucidité de son génie. Mais une circonstance fâcheuse troubla tout à coup la confiance de mon fils. Il avait rencontré sur son chemin l’imposteur Cagliostro, initié par l’imprudence des rose-croix à quelques-uns de leurs mystères. Albert, depuis longtemps reçu rose-croix, avait dépassé ce grade, et présida une de leurs assemblées comme grand-maître. Il vit alors de près ce qu’il n’avait fait encore que pressentir. Il toucha tous ces éléments divers qui composent les affiliations maçonniques ; il reconnut l’erreur, l’engouement, la vanité, l’imposture, la fraude même qui commençaient dès lors à se glisser dans ces sanctuaires