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déjà envahis par la démence et les vices du siècle. Cagliostro, avec sa police vigilante des petits secrets du monde, qu’il présentait comme les révélations d’un esprit familier, avec son éloquence captieuse qui parodiait les grandes inspirations révolutionnaires, avec son art prestigieux qui évoquait de prétendues ombres ; Cagliostro, l’intrigant et le cupide, fit horreur au noble adepte. La crédulité des gens du monde, la superstition mesquine d’un grand nombre de francs-maçons, l’avidité honteuse qu’excitaient les promesses de la pierre philosophale et tant d’autres misères du temps où nous vivons, portèrent dans son âme une lumière funeste. Dans sa vie de retraite et d’études, il n’avait pas assez deviné la race humaine ; il ne s’était point préparé à la lutte avec tant de mauvais instincts. Il ne put souffrir tant de misères. Il voulait qu’on démasquât et qu’on chassât honteusement des abords de nos temples les charlatans et les sorciers. Il ne pouvait admettre qu’on dût supporter le concours dégradant de Cagliostro, parce qu’il était trop tard pour s’en défaire, parce que cet homme irrité pouvait perdre beaucoup d’hommes estimables ; tandis que, flatté de leur protection et d’une apparence de confiance, il pouvait rendre beaucoup de services à la cause sans la connaître véritablement. Albert s’indigna et prononça sur notre œuvre l’anathème d’une âme ferme et ardente ; il nous prédit que nous échouerions pour avoir laissé l’alliage pénétrer trop avant dans la chaîne d’or. Il nous quitta en disant qu’il allait réfléchir à ce que nous nous efforcions de lui faire comprendre des nécessités terribles de l’œuvre des conspirations, et qu’il reviendrait nous demander le baptême quand ses doutes poignants seraient dissipés. Nous ne savions pas, hélas ! quelles lugubres réflexions étaient les siennes dans la solitude de Riesenburg. Il ne nous