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tion entre la vie de l’âme et la vie positive, entre les principes, les instincts, et des habitudes forcées. Je vois bien qu’il a repassé par les mêmes chemins, et qu’il y a cueilli les mêmes poisons. Sauvons-le donc, et s’il veut revenir plus tard sur cette détermination que nous allons prendre, ne sera-t-il pas libre de le faire ? Si l’existence de son père se prolonge, et si sa propre santé morale le lui permet, ne sera-t-il pas toujours à temps de revenir consoler les derniers jours de Christian par sa présence et son amour ? — Difficilement ! répondit Marcus. J’entrevois dans l’avenir des obstacles terribles si Albert veut revenir sur son divorce avec la société constituée, avec le monde et la famille. Mais pourquoi Albert le voudrait-il ? Cette famille va s’éteindre peut-être avant qu’il ait recouvré la mémoire, et ce qu’il lui restera à conquérir sur le monde, le nom, les honneurs et la richesse, je sais bien ce qu’il en pensera, le jour où il redeviendra lui-même. Fasse le ciel que ce jour arrive ! Notre tâche la plus importante et la plus pressée est de le placer dans des conditions où sa guérison soit possible. »

« Nous sortîmes donc une nuit de la grotte aussitôt qu’Albert put se soutenir. À peu de distance du Schreckenstein, nous le plaçâmes sur un cheval, et nous gagnâmes ainsi la frontière, qui est fort rapprochée en cet endroit, comme vous savez, et où nous trouvâmes des moyens de transport plus faciles et plus rapides. Les relations que notre ordre entretient avec les nombreux affiliés de l’ordre maçonnique nous assurent, dans tout l’intérieur de l’Allemagne, la facilité de voyager sans être connus et sans être soumis aux investigations de la police. La Bohême était le seul endroit périlleux pour nous, à cause des récents mouvements de Prague et de la jalouse surveillance du pouvoir autrichien.