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ments, mais dans votre âme. Mais Albert, avec une résignation généreuse et un sens juste de sa situation à votre égard, nous empêcha de nous hâter. Elle ne m’a pas aimé d’amour, nous dit-il ; elle a eu pitié de moi dans mon agonie ; elle ne se fût pas engagée sans terreur et peut-être sans désespoir à passer sa vie avec moi. Elle reviendrait à moi par devoir maintenant. Quel malheur serait le mien de lui ravir sa liberté, les émotions de son art, et peut-être les joies d’un nouvel amour ! C’est bien assez d’avoir été l’objet de sa compassion ; ne me réduisez pas à être celui de son pénible dévouement. Laissez-la vivre ; laissez-lui connaître les plaisirs de l’indépendance, les enivrements de la gloire, et de plus grands bonheurs encore s’il le faut ! Ce n’est pas pour moi que je l’aime, et s’il est trop vrai qu’elle soit nécessaire à mon bonheur, je saurai bien renoncer à être heureux, pourvu que mon sacrifice lui profite ! D’ailleurs, suis-je né pour le bonheur ? Y ai-je droit lorsque tout souffre et gémit dans le monde ? N’ai-je pas d’autres devoirs que celui de travailler à ma propre satisfaction ? Ne trouverai-je pas dans l’exercice de ces devoirs la force de m’oublier et de ne plus rien désirer pour moi-même ? Je veux du moins le tenter ; si je succombe, vous prendrez pitié de moi, vous travaillerez à me donner du courage ; cela vaudra mieux que de me bercer de vaines espérances, et de me rappeler sans cesse que mon cœur est malade et dévoré de l’égoïste désir d’être heureux. Aimez-moi, ô mes amis ! Bénissez-moi, ô ma mère, et ne me parlez pas de ce qui m’ôte la force et la vertu, quand malgré moi je sens l’aiguillon de mes tourments ! Je sais bien que le plus grand mal que j’aie subi à Riesenburg, c’est celui que j’ai fait aux autres. Je redeviendrais fou, je mourrais peut-être en blasphémant, si je voyais Consuelo souffrir les an-