Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160

trait qu’il révère passionnément sous le nom d’humanité, et les êtres particuliers qu’il chérit avec délices. Enfin, son cœur sublime est un foyer d’amour ; toutes les nobles passions y trouvent place et y vivent sans rivalité. Si l’on pouvait se représenter la Divinité sous l’aspect d’un être fini et périssable, j’oserais dire que l’âme de mon fils est l’image de l’âme universelle que nous appelons Dieu.

« Voilà pourquoi, faible créature humaine, infinie dans son aspiration et bornée dans ses moyens, il n’avait pu vivre auprès de ses parents. S’il ne les eût point ardemment aimés, il eût pu se faire au milieu d’eux une vie à part, une foi robuste et calme, différente de la leur, et indulgente pour leur aveuglement inoffensif ; mais cette force eût réclamé une certaine froideur qui lui était aussi impossible qu’elle me l’avait été à moi-même. Il n’avait pas su vivre isolé d’esprit et de cœur ; il avait invoqué avec angoisse leur adhésion, et appelé avec désespoir la communion des idées entre lui et ces êtres qui lui étaient si chers. Voilà pourquoi, enfermé seul dans la muraille d’airain de leur obstination catholique, de leurs préjugés sociaux et de leur haine pour la religion de l’égalité, il s’était brisé contre leur sein en gémissant ; il s’était desséché comme une plante privée de rosée, en appelant la pluie du ciel qui lui eût donné une existence commune avec les objets de son affection. Lassé de souffrir seul, d’aimer seul, de croire et de prier seul, il avait cru retrouver la vie en vous, et lorsque vous aviez accepté et partagé ses idées, il avait recouvré le calme et la raison ; mais vous ne partagiez pas ses sentiments, et votre séparation devait le replonger dans un isolement plus profond et plus insupportable.

« Sa foi, niée et combattue sans cesse, devint une