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il faut bien que je me serve de cette étrange expression pour caractériser un événement si étrange. Albert avait pleuré son père avec un attendrissement enthousiaste, avec la certitude qu’il n’avait pas quitté cette vie pour entrer dans le néant du paradis ou de l’enfer des catholiques, avec l’espèce de joie solennelle que lui inspirait l’espoir d’une vie meilleure et plus large ici-bas pour cet homme pur et digne de récompense. Il s’affligeait donc beaucoup plus de l’abandon où restaient ses autres parents, le baron Frédéric et la chanoinesse Wenceslawa, que du départ de son père. Il se reprochait de goûter loin d’eux des consolations qu’ils ne partageaient pas, et il avait résolu d’aller les rejoindre pour quelque temps, de leur faire connaître le secret de sa guérison, de sa résurrection miraculeuse, et d’établir leur existence de la manière la plus heureuse possible. Il ignorait la disparition de sa cousine Amélie, arrivée durant sa maladie à Riesenburg, et qu’on lui avait cachée avec soin pour lui épargner un chagrin de plus. Nous n’avions pas jugé à propos de l’en instruire, nous n’avions pas pu soustraire ma malheureuse nièce à un égarement déplorable, et lorsque nous allions nous emparer de son séducteur, l’orgueil moins indulgent des Rudolstadt saxons nous avait devancés. Ils avaient fait arrêter secrètement Amélie sur les terres de Prusse, où elle se flattait de trouver un refuge ; ils l’avaient livrée à la rigueur du roi Frédéric, et ce monarque leur avait donné cette gracieuse marque de protection, de faire enfermer une jeune fille infortunée dans la forteresse de Spandaw. Elle y a passé près d’un an dans une affreuse captivité, n’ayant de relation avec personne, et devant s’estimer heureuse de voir le secret de son déshonneur étroitement gardé par la généreuse protection du monarque geôlier.