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geant son fusil. Tirez dessus, il a peur ! Vous ne le tuerez pas, les balles ne peuvent pas l’atteindre, mais vous le ferez reculer, et nous aurons le temps d’emporter le corps de notre pauvre maître. »

« Albert, voyant tous les fusils dirigés sur lui, s’enfonça dans le taillis, et descendant sans être vu la pente de la montagne, s’assura bientôt par ses yeux de l’horrible vérité. Le corps brisé de son malheureux oncle gisait sur les pierres ensanglantées. Son crâne était ouvert, et le vieux Hanz criait d’une voix désolée ces paroles épouvantables :

« — Ramassez sa cervelle et n’en laissez pas sur les rochers ; car le chien du vampire viendrait la lécher.

« — Oui, oui, il y avait un chien, répondait un autre serviteur, un chien que j’ai d’abord pris pour Cynabre.

« — Mais Cynabre a disparu depuis la mort du comte Albert, disait un troisième, on ne l’a plus revu nulle part ; il sera mort dans quelque coin, et le Cynabre que nous avons vu là-haut est une ombre, comme ce vampire est une ombre aussi, ressemblant au comte Albert. Abominable vision, je l’aurai toujours devant les yeux. Seigneur Dieu ! ayez pitié de nous et de l’âme de monsieur le baron mort sans sacrements, par la malice de l’esprit.

« — Hélas ! je lui disais bien qu’il lui arriverait malheur, reprenait Hanz d’un ton lamentable, en rassemblant les lambeaux de vêtements du baron avec des mains teintes de son sang ; il voulait toujours venir chasser dans cet endroit trois fois maudit ! Il se persuadait que, parce que personne n’y venait, tout le gibier de la forêt s’y était remisé ; et Dieu sait pourtant qu’il n’y a jamais eu d’autre gibier sur cette infernale montagne que celui qui pendait encore, dans