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Invisibles, et prit rang parmi les chefs et les pères de cette église nouvelle. Il leur porta bien des lumières qu’ils reçurent avec amour et reconnaissance. Les réformes qu’il proposa furent consenties, et dans l’exercice d’une foi militante, il revint à l’espérance et à la sérénité d’âme qui fait les héros et les martyrs.

« Nous pensions qu’il avait triomphé de son amour pour vous, tant il avait pris de soin de nous cacher ses combats et ses souffrances. Mais un jour, la correspondance des adeptes, qu’il n’était plus possible de lui cacher, apporta dans notre sanctuaire un avis cruel, malgré l’incertitude dont il restait entouré. Vous passiez à Berlin dans l’esprit de quelques personnes pour la maîtresse du roi de Prusse, et les apparences ne démentaient pas cette supposition ; Albert ne dit rien et devint pâle.

« — Mon amie bien-aimée, me dit-il après quelques instants de silence, cette fois tu me laisseras partir sans rien craindre ; le devoir de mon amour m’appelle à Berlin, ma place est auprès de celle que j’aime et qui a accepté ma protection. Je ne m’arroge aucun droit sur elle ; si elle est enivrée du triste bonheur qu’on lui attribue, je n’userai d’aucune autorité pour l’y faire renoncer ; mais si, comme j’en suis certain, elle est environnée de pièges et de dangers, je saurai l’y soustraire.

« — Arrêtez, Albert, lui dis-je, et craignez la puissance de cette fatale passion qui vous a déjà fait tant de mal ; le mal qui vous viendra de ce côté-là est le seul au-dessus de vos forces. Je vois bien que vous ne vivez plus que par la vertu et votre amour. Si cet amour périt en vous, la vertu vous suffira-t-elle ?

« — Et pourquoi mon amour périrait-il ? reprit Albert avec exaltation. Vous pensez donc qu’elle aurait déjà cessé d’en être digne ?