Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175

pâleur mortelle était sur ses traits, et l’effroi dans son cœur. Quelque parti qu’elle eût résolu de prendre, elle sentait qu’il lui resterait un regret ou un remords, qu’une âme serait brisée par son abandon ; et la sienne éprouvait par avance un déchirement affreux. En voyant ses joues et ses lèvres, aussi blanches que son voile et son bouquet d’oranger, elle craignit également pour Albert et pour Liverani l’aspect d’une émotion si violente, et elle fut tentée de mettre du fard ; mais elle y renonça aussitôt : « Si mon visage ment, pensa-t-elle, mon cœur pourra-t-il donc mentir ? »

Elle s’agenouilla contre son lit, et cachant son visage dans les draperies, elle resta absorbée dans une méditation douloureuse jusqu’au moment où la pendule sonna minuit. Elle se leva aussitôt, et vit un Invisible à masque noir debout derrière elle. Je ne sais quel instinct lui fit présumer que c’était Marcus. Elle ne se trompait pas, et pourtant, il ne se fit point connaître à elle, et se contenta de lui dire d’une voix douce et triste :

« Madame, tout est prêt. Veuillez vous couvrir de ce manteau, et me suivre. »

Consuelo suivit l’Invisible jusqu’au fond du jardin, à l’endroit où le ruisseau se perdait sous l’arcade verdoyante du parc. Là, elle trouva une gondole découverte, toute noire, toute semblable aux gondoles de Venise, et dans le rameur gigantesque qui se tenait à la proue, elle reconnut Karl, qui fit un signe de croix en la voyant. C’était sa manière de témoigner la plus grande joie possible.

« M’est-il permis de lui parler ? demanda Consuelo à son guide.

— Vous pouvez, répondit celui-ci, lui dire quelques mots à haute voix.

— Eh bien, cher Karl, mon libérateur et mon ami, dit