Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181

— Ce n’est qu’un camarade, répondit Consuelo, et entre camarades, nous autres, nous ne sommes pas toujours amis.

— Mais n’auriez-vous pas quelque plaisir à lui parler ? Si nous entrions dans ce palais, et si l’on vous priait de chanter avec lui ?

— Si c’est une épreuve, dit avec un peu de malice Consuelo qui commençait à remarquer l’insistance de Marcus, comme je dois vous obéir en tout, je m’y prêterai volontiers. Mais si c’est pour mon plaisir que vous me faites cette offre, j’aime autant m’en dispenser.

— Dois-je arrêter ici, mon frère ? demanda Karl en faisant un signe militaire avec la rame.

— Passe, frère, et pousse au large ! » répondit Marcus.

Karl obéit, et au bout de peu d’instants, la barque, ayant traversé le bassin, s’enfonça sous des berceaux épais. L’obscurité devint profonde. Le petit fanal suspendu à la gondole jetait seul des lueurs bleuâtres sur le feuillage environnant. De temps en temps, à travers des échappées de sombre verdure, on voyait encore scintiller faiblement au loin les lumières du palais. Les sons de l’orchestre s’évanouissaient lentement. La barque, en rasant la rive, effeuillait les rameaux en fleurs, et le manteau noir de Consuelo était semé de leurs pétales embaumés. Elle commençait à rentrer en elle-même, et à combattre cette indéfinissable volupté de l’amour et de la nuit. Elle avait retiré sa main de celle de Liverani, et son cœur se brisait à mesure que le voile d’ivresse tombait devant des lueurs de raison et de volonté.

« Écoutez, madame ! dit Marcus. N’entendez-vous pas d’ici les applaudissements de l’auditoire ? Oui, vraiment ! ce sont des battements de mains et des acclamations.