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qu’il est permis d’adorer le meilleur et le plus grand des maîtres et des martyrs. Nous pouvons bien l’appeler le sauveur des hommes, en ce sens qu’il a enseigné à ceux de son temps des vérités qu’ils n’avaient fait qu’entrevoir, et qui devaient faire entrer l’humanité dans une phase nouvelle de lumière et de sainteté. Nous pouvons bien nous agenouiller auprès de sa cendre, pour remercier Dieu de nous avoir suscité un tel prophète, un tel exemple, un tel ami ; mais nous adorons Dieu en lui, et nous ne commettons pas le crime d’idolâtrie. Nous distinguons la divinité de la révélation de celle du révélateur. Je consens donc à rendre à ces emblèmes d’un supplice à jamais illustre et sublime, l’hommage d’une pieuse reconnaissance et d’un enthousiasme filial ; mais je ne crois pas que le dernier mot de la révélation ait été compris et proclamé par les hommes au temps de Jésus, car il ne l’a pas encore été officiellement sur la terre. J’attends de la sagesse et de la foi de ses disciples, de la continuation de son œuvre durant dix-sept siècles, une vérité plus pratique, une application plus complète de la parole sainte et de la doctrine fraternelle. J’attends le développement de l’Évangile, j’attends quelque chose de plus que l’égalité devant Dieu, je l’attends et je l’invoque parmi les hommes.

— Tes paroles sont audacieuses et tes doctrines sont grosses de périls. Y as-tu bien songé dans la solitude ? As-tu prévu les malheurs que ta foi nouvelle amassait d’avance sur ta tête ? Connais-tu le monde et tes propres forces ? Sais-tu que nous sommes un contre cent mille dans les pays les plus civilisés du globe ? Sais-tu qu’au temps où nous vivons, entre ceux qui rendent au sublime révélateur Jésus un culte injurieux et grossier, et ceux, presque aussi nombreux désormais, qui nient sa mission et jusqu’à son existence, entre les idolâtres et