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la conscience, de remettre les fautes, d’assortir les sympathies, de briser les entraves de l’ancienne société. Tu n’as donc pas celui de disposer de ton être pour le sacrifice, tu ne peux pas étouffer l’amour dans ton sein et renier la vérité de ta confession, sans que nous t’y ayons autorisée.

— Que me parlez-vous de liberté, que me parlez-vous d’amour et de bonheur ? s’écria Consuelo en faisant un pas vers les juges avec une explosion d’enthousiasme et un rayonnement de physionomie sublime. Ne venez-vous pas de me faire traverser des épreuves qui doivent laisser sur le front une éternelle pâleur, et dans l’âme une invincible austérité ? Quel être insensible et lâche me croyez-vous, si vous me jugez encore capable de rêver et de chercher des satisfactions personnelles après ce que j’ai vu, après ce que j’ai compris, après ce que je sais désormais de la vie des hommes, et de mes devoirs en ce monde ? Non, non ! plus d’amour, plus d’hyménée, plus de liberté, plus de bonheur, plus de gloire, plus d’art, plus rien pour moi, si je dois faire souffrir le dernier d’entre mes semblables ! Et n’est-il pas prouvé que toute joie s’achète dans ce monde d’aujourd’hui au prix de la joie de quelque autre ? N’y a-t-il pas quelque chose de mieux à faire que de se contenter soi-même ? Albert ne pense-t-il pas ainsi, et n’ai-je pas le droit de penser comme lui ? N’espère-t-il pas trouver, dans son sacrifice même, la force de travailler pour l’humanité avec plus d’ardeur et d’intelligence que jamais ? Laissez-moi être aussi grande qu’Albert. Laissez-moi fuir la menteuse et criminelle illusion du bonheur. Donnez-moi du travail, de la fatigue, de la douleur et de l’enthousiasme ! Je ne comprends plus la joie que dans la souffrance ; j’ai soif du martyre depuis que vous m’avez fait voir imprudemment les trophées du supplice. Oh ! honte