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demeure parmi nous, parce que tu n’as pas voulu être profané. Tu reviendras, comme au temps fabuleux d’Astrée, comme dans les visions des poëtes, te fixer dans notre paradis terrestre, quand nous aurons mérité par des vertus sublimes la présence d’un hôte tel que toi. Oh ! qu’alors le séjour de cette terre sera doux aux hommes, et qu’il fera bon d’y être né ! quand nous serons tous frères et sœurs, quand les unions seront librement consenties et librement maintenues par la seule force qu’on puise en toi ; quand, au lieu de cette lutte effroyable, impossible, que la fidélité conjugale est obligée de soutenir contre les tentatives impies de la débauche, de la séduction hypocrite, de la violence effrénée, de la perfide amitié et de la dépravation savante, chaque époux ne trouvera autour de lui que de chastes sœurs, jalouses et délicates gardiennes de la félicité d’une sœur qu’elles lui auront donnée pour compagne, tandis que chaque épouse trouvera dans les autres hommes autant de frères de son époux, heureux et fiers de son bonheur, protecteurs-nés de son repos et de sa dignité ! Alors la femme fidèle ne sera plus la fleur solitaire qui se cache pour garder le fragile trésor de son honneur, la victime souvent délaissée qui se consume dans la retraite et dans les larmes, impuissante à faire revivre dans le cœur de son bien-aimé la flamme qu’elle a conservée pure dans le sien. Alors le frère ne sera plus forcé de venger sa sœur, et de tuer celui qu’elle aime et qu’elle regrette, pour lui rendre un semblant de faux honneur ; alors la mère ne tremblera plus pour sa fille, alors la fille ne rougira plus de sa mère ; alors surtout l’époux ne sera plus ni soupçonneux ni despote ; l’épouse abjurera, de son côté, l’amertume de la victime ou la rancune de l’esclave. D’atroces souffrances, d’abominables injustices ne flétriront plus le riant et calme sanctuaire de la