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temps. Mais nous devinons aisément qu’ils donnèrent volontairement lieu à ces méprises, étant, tantôt voués à quelque entreprise secrète dirigée par les Invisibles, et tantôt forcés de se soustraire, à travers mille périls, à la police inquisitoriale des gouvernements. Ce que nous pouvons affirmer sur l’existence de cette âme en deux personnes qui s’appela Consuelo et Albert, c’est que leur amour tint ses promesses, mais que la destinée démentit cruellement celles qu’elle avait semblé leur faire durant ces heures d’ivresse qu’ils appelaient leur songe d’une nuit d’été. Cependant ils ne furent point ingrats envers la Providence, qui leur avait donné ce rapide bonheur dans toute sa plénitude, et qui, au milieu de leurs revers, continua en eux le miracle de l’amour annoncé par Wanda. Au sein de la misère, de la souffrance et de la persécution, ils se reportèrent toujours à ce doux souvenir qui marqua dans leur vie comme une vision céleste, comme un bail fait avec la divinité pour la jouissance d’une vie meilleure, après une phase de travaux, d’épreuves et de sacrifices.

Tout devient, d’ailleurs, tellement mystérieux pour nous dans cette histoire, que nous n’avons pas seulement pu découvrir dans quelle partie de l’Allemagne était située cette résidence enchantée, où, protégé par le tumulte des chasses et des fêtes, un prince, anonyme dans nos documents, servit de point de ralliement et de moteur principal à la conspiration sociale et philosophique des Invisibles. Ce prince avait reçu d’eux un nom symbolique, qu’après mille peines pour deviner le chiffre dont se servaient les adeptes, nous présumons être celui de Christophore, porte-Christ, ou peut-être bien Chrysostôme, bouche d’or. Le temple où Consuelo fut mariée et initiée, ils l’appelaient poétiquement le saint Graal, et les chefs du tribunal, les templistes ;