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Ces cruelles et misérables persécutions furent le commencement d’un long martyre que subit héroïquement l’infortunée prima donna durant toute sa carrière théâtrale. Toutes les fois qu’elle rencontra Anzoleto, il lui suscita mille chagrins, et il est triste de dire qu’elle rencontra plus d’un Anzoleto dans sa vie. D’autres Corilla la tourmentèrent de leur envie et de leur malveillance, plus ou moins perfide ou brutale ; et de toutes ces rivales, la première fut encore la moins méchante et la plus capable d’un bon mouvement de cœur. Mais quoi qu’on puisse dire de la méchanceté et de la jalouse vanité des femmes de théâtre, Consuelo éprouva que quand leurs vices entraient dans le cœur d’un homme, ils le dégradaient encore davantage et le rendaient plus indigne de son rôle dans l’humanité. Les seigneurs arrogants et débauchés, les directeurs de théâtres et les gazetiers, dépravés aussi par le contact de tant de souillures ; les belles dames, protectrices curieuses et fantasques, promptes à s’imposer, mais irritées bientôt de rencontrer chez une fille de cette espèce plus de vertu qu’elles n’en avaient et n’en voulaient avoir ; enfin le public souvent ignare, presque toujours ingrat ou partial, ce furent là autant d’ennemis contre lesquels l’épouse austère de Liverani eut à se débattre dans d’incessantes amertumes. Persévérante et fidèle, dans l’art comme dans l’amour, elle ne se rebuta jamais et poursuivit sa carrière, grandissant toujours dans la science de la musique, comme dans la pratique de la vertu ; échouant souvent dans l’épineuse poursuite du succès, se relevant souvent aussi par de justes triomphes, restant malgré tout la prêtresse de l’art, mieux que ne l’entendait le Porpora lui-même, et puisant toujours de nouvelles forces dans sa foi religieuse, d’immenses consolations dans l’amour ardent et dévoué de son époux.