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qu’elle prit de s’enlaidir avec une liqueur corrosive qui lui fit presque perdre la vue, l’état déplorable où elle réduisit volontairement sa propre santé afin d’échapper à la nécessité du mariage, la révolution affreuse qui s’opéra dans son caractère ; enfin, ces dix années de désolation qui firent de Trenck un martyr, et de son illustre amante une femme vieille, laide et méchante, au lieu d’un ange de douceur et de beauté qu’elle avait été naguère et qu’elle eût pu continuer d’être dans le bonheur[1]. Tout cela est historique, mais on ne s’en est pas assez souvenu quand on a tracé le portrait de Frédéric le Grand. Ce crime, accompagné de cruautés gratuites et raffinées, est une tache ineffaçable à la mémoire du despote philosophe.

Enfin, Trenck fut mis en liberté, comme l’on sait, grâce à l’intervention de Marie-Thérèse, qui le réclama comme son sujet ; et cette protection tardive lui fut acquise enfin par les soins du frotteur de la chambre de Sa Majesté, le même que notre Karl. Il y a, sur les ingénieuses intrigues de ce magnanime plébéien auprès de sa souveraine, des pages bien curieuses et bien attendrissantes dans les mémoires du temps.

Pendant les premières années de la captivité de Trenck, son cousin, le fameux pandoure, victime d’accusations plus méritées, mais non moins haineuses et cruelles, était mort empoisonné, au Spielberg. À peine libre, Trenck le Prussien vint à Vienne réclamer l’immense succession de Trenck l’Autrichien. Mais Marie-Thérèse n’était point du tout d’avis de la lui rendre. Elle avait profité des exploits du pandoure, elle l’avait puni de ses violences, elle voulait profiter de ses rapines, et elle en

  1. Voir dans Thiébault le portrait de l’abbesse de Quedlimbourg et les curieuses révélations qui s’y rattachent.