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royauté, qui était alors une religion officielle pour les patriciens, il nous fait pressentir la sécheresse, l’hypocrisie et la cupidité de cette grande femme, réunion de contrastes, caractère sublime et mesquin, naïf et fourbe, comme toutes les belles âmes aux prises avec la corruption de la puissance absolue, cette cause anti-humaine de tout mal, cet écueil inévitable contre lequel tous les nobles instincts sont fatalement entraînés à se briser. Résolue d’éconduire le plaignant, la souveraine daigna souvent le consoler, lui rendre l’espérance, lui promettre sa protection contre les juges infâmes qui le dépouillaient ; et à la fin, feignant d’avoir échoué dans la poursuite de la vérité et de ne plus rien comprendre au dédale de cet interminable procès, elle lui offrit, pour dédommagement, un chétif grade de major et la main d’une vieille dame laide, dévote et galante. Sur le refus de Trenck, la matrimoniomane impératrice lui déclara qu’il était un fou, un présomptueux, qu’elle ne savait aucun moyen de satisfaire son ambition, et lui tourna le dos pour ne plus s’occuper de lui. Les raisons qu’on avait fait valoir pour confisquer la succession du pandoure avaient varié selon les personnes et les circonstances. Tel tribunal avait décidé que le pandoure, mort sous le poids d’une condamnation infamante, n’avait pas été apte à tester ; tel autre, que s’il y avait un testament valide, les droits de l’héritier, comme sujet prussien, ne l’étaient pas ; tel autre, enfin, que les dettes du défunt absorbaient au-delà de la succession, etc. On éleva incident sur incident ; on vendit maintes fois la justice au réclamant, et on ne la lui fit jamais[1].

  1. Nous rappellerons ici au lecteur, pour ne plus y revenir, le reste de l’histoire de Trenck. Il vieillit dans la pauvreté, occupa son énergie par la publication de journaux d’une opposition fort avancée pour son temps, et, marié à une femme de son choix, père de nombreux enfants, persé-