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sa bénédiction, et réparer, dans une dernière effusion d’amour et de douleur, l’abandon où il avait été forcé de la laisser. La chanoinesse, presque aveugle, fut seulement frappée du son de sa voix. Elle ne se rendit pas bien compte de ce qu’elle éprouvait, mais elle s’abandonna aux instincts de tendresse qui avaient survécu en elle à la mémoire et à l’activité du raisonnement ; elle le pressa dans ses bras défaillants en l’appelant son Albert bien-aimé, son fils à jamais béni. Le vieux Hanz était mort ; mais la baronne Amélie, et une femme du Bœhmerwald qui servait la chanoinesse, et qui avait été autrefois garde-malade d’Albert lui-même, s’étonnèrent et s’effrayèrent de la ressemblance de ce prétendu médecin avec le jeune comte. Il ne paraît pourtant pas qu’Amélie l’eût positivement reconnu ; nous ne voulons pas la croire complice des persécutions qui s’acharnèrent après lui. Nous ne savons pas quelles circonstances donnèrent l’éveil à cette nuée d’agents semi-magistrats, semi-mouchards, à l’aide desquels la cour de Vienne gouvernait les nations assujetties. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à peine la chanoinesse eut-elle exhalé son dernier souffle dans les bras de son neveu, que celui-ci fut arrêté et interrogé sur sa condition et sur les intentions qui l’avaient amené au chevet de la moribonde. On voulut voir son diplôme de médecin ; il en avait un en règle ; mais on lui contesta son nom de Liverani, et certaines gens se rappelèrent l’avoir rencontré ailleurs sous celui de Trismégiste. On l’accusa d’avoir exercé la profession d’empirique et de magicien. Il fut impossible de prouver qu’il eût jamais reçu d’argent pour ses cures. On le confronta avec la baronne Amélie, et ce fut sa perte. Irrité et poussé à bout par les investigations auxquelles on le soumettait, las de se cacher et de se déguiser, il avoua brusquement à sa cousine, dans un tête-