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hasard, comptant, disait-il, sur la fortune, sur une certaine inspiration secrète qui devait nous diriger. Je m’étonnai un peu de cet abandon du calcul et du raisonnement ; cela me semblait contraire à ses habitudes de méthode.

« Philon, me dit-il quand nous fûmes seuls, je crois bien que les hommes comme nous sont ici-bas les ministres de la Providence : mais penses-tu que je la croie inerte et dédaigneuse, cette Providence maternelle par laquelle nous sentons, nous voulons et nous agissons ! J’ai remarqué que tu étais plus favorisé d’elle que moi ; tes desseins réussissent presque toujours. En avant donc ! Je te suis, et j’ai foi en ta seconde vue, cette clarté mystérieuse qu’invoquaient naïvement nos ancêtres de l’illuminisme, les pieux fanatiques du passé ! »

Il semble vraiment que le maître ait prophétisé. Avant la fin du second jour, nous avions trouvé l’objet de nos recherches, et voici comment je fus l’instrument de la destinée.

Nous étions parvenus à la lisière du bois, et le chemin se bifurquait devant nous. L’un s’enfonçait en fuyant vers les basses terres, l’autre côtoyait les flancs adoucis de la montagne.

« Par où prendrons-nous ? me dit Spartacus en s’asseyant sur un fragment de rocher. Je vois par ici des champs cultivés, des prairies, de chétives cabanes. On nous a dit qu’il était pauvre ; il doit vivre avec les pauvres. Allons nous informer de lui auprès des humbles pasteurs de la vallée.

— Non, maître, lui répondis-je en lui montrant le chemin à mi-côte : je vois sur ma droite des mamelons escarpés, et les murailles croulantes d’un antique manoir. On nous a dit qu’il était poëte ; il doit aimer les ruines et la solitude.