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— Aussi bien, reprit Spartacus en souriant, je vois Vesper qui monte, blanc comme une perle, dans le ciel encore rose, au-dessus des ruines du vieux domaine. Nous sommes les bergers qui cherchent un prophète, et l’étoile miraculeuse marche devant nous. »

Nous eûmes bientôt atteint les ruines. C’était une construction imposante, bâtie à diverses époques ; mais les vestiges du temps de l’empereur Charles gisaient à côté de ceux de la féodalité. Ce n’étaient pas les siècles, c’était la main des hommes qui avait présidé récemment à cette destruction. Il faisait encore grand jour quand nous gravîmes le revers d’un fossé desséché, et quand nous pénétrâmes sous la herse rouillée et immobile. Le premier objet que nous rencontrâmes, assis sur les décombres, à l’entrée du préau, fut un vieillard couvert de haillons bizarres, et plus semblable à un homme du temps passé qu’à un contemporain. Sa barbe, couleur d’ivoire jauni, tombait sur sa poitrine, et sa tête chauve brillait comme la surface d’un lac aux derniers rayons du soleil. Spartacus tressaillit, et, s’approchant de lui à la hâte, lui demanda le nom du château. Le vieillard parut ne pas nous entendre ; il fixa sur nous des yeux vitreux qui semblaient ne pas voir. Nous lui demandâmes son nom ; il ne nous répondit pas : sa physionomie n’exprimait qu’une indifférence rêveuse. Cependant ses traits socratiques n’annonçaient pas l’abrutissement de l’idiotisme ; il y avait dans sa laideur cette certaine beauté qui vient d’une âme pure et sereine. Spartacus lui mit une pièce d’argent dans la main ; il la porta très-près de ses yeux, et la laissa tomber sans paraître en comprendre l’usage.

« Est-il possible, dis-je au maître, qu’un vieillard totalement privé de l’usage de ses sens et de sa raison soit ainsi abandonné loin de toute habitation, au milieu