Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34

— Ce n’est rien encore : cette jouissance viagère, très-contestable, du moins en partie, ne satisferait pas l’appétit des chevaliers d’industrie qui veulent vous accaparer. Vous n’avez pas d’enfant ; il vous faut un mari. Eh bien, le comte Albert n’est pas mort : il était en léthargie, on l’a enterré vivant ; le diable l’a tiré de là ; M. de Cagliostro lui a donné une potion ; M. de Saint-Germain l’a emmené promener. Bref, au bout d’un ou deux ans il reparaît, raconte ses aventures, se jette à vos pieds, consomme son mariage avec vous, part pour le château des Géants, se fait reconnaître de la vieille chanoinesse et de quelques vieux serviteurs qui n’y voient pas très-clair, provoque une enquête, s’il y a contestation, et paie les témoins. Il fait même le voyage de Vienne avec son épouse fidèle, pour réclamer ses droits auprès de l’impératrice. Un peu de scandale ne nuit pas à ces sortes d’affaires. Toutes les grandes dames s’intéressent à un bel homme, victime d’une funeste aventure et de l’ignorance d’un sot médecin. Le prince de Kaunitz, qui ne hait pas les cantatrices, vous protège ; votre cause triomphe ; vous retournez victorieuse à Riesenburg, vous mettez à la porte votre cousine Amélie ; vous êtes riche et puissante ; vous vous associez au prince d’ici et à ses charlatans pour réformer la société et changer la face du monde. Tout cela est fort agréable, et ne coûte que la peine de se tromper un peu, en prenant à la place d’un illustre époux un bel aventurier, homme d’esprit et grand diseur de bonne aventure par-dessus le marché. Y êtes-vous, maintenant ? Faites vos réflexions. Il était de mon devoir comme médecin, comme ami de la famille de Rudolstadt, et comme homme d’honneur, de vous dire tout cela. On avait compté sur moi pour constater, dans l’occasion, l’identité du Trismégiste avec le comte Albert. Mais moi qui