Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/139

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le passé, et je n’avais pas un seul instant songé à l’avenir. La voix de Lila, qui me reconduisait, me tira de mon extase.

— Ô monsieur Lélio ! me dit-elle, vous ne m’avez pas tenu parole. Vous n’avez été ce soir ni le père ni l’ami de ma maîtresse.

— C’est vrai, lui répondis-je assez tristement ; c’est vrai, j’ai eu tort. Mais sois tranquille, mon enfant ; demain je réparerai tout.

Le lendemain vint et fut pareil, et l’autre lendemain encore. Seulement je me sentis chaque jour plus fortement épris ; et ce qui n’était au premier rendez-vous qu’une velléité d’amour était déjà devenu au troisième une véritable passion. L’air désolé de Lila me l’eût bien fait voir si je ne m’en fusse moi-même aperçu le premier. Tout le long du chemin je rêvais à l’avenir de cet amour, et je rentrais à la maison triste et pâle. Checca ne fut pas longtemps à voir de quoi il s’agissait.

— Povero, me dit-elle, je t’avais bien dit que tu pleurerais bientôt.

Et, comme je levais la tête pour nier :

— Si tu n’as déjà pleuré, ajouta-t-elle, tu vas pleurer ; et il y a de quoi. Ta position est triste et, et qui pis est, absurde. Tu aimes une jeune fille que ta fierté te défend de chercher à épouser, et que ta délicatesse t’empêche de séduire. Tu ne veux pas lui demander sa main, d’abord parce que tu sais qu’en te l’accordant elle te ferait un immense sacrifice et s’exposerait pour toi à mille souffrances (tu es trop généreux pour vouloir d’un bonheur qui coûterait si cher), ensuite parce que tu craindrais même d’être refusé, et que tu es trop orgueilleux pour t’exposer au dédain. Tu ne veux pas non plus prendre ce que tu es résolu à ne pas demander, et tu aimerais mieux, j’en suis sûre, aller te faire moine que d’abuser de l’ignorance