Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/163

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C’est bien, Mandola, allez-vous-en à l’office. » Et puis elle me rappellera pour me dire d’un ton doux, car elle est toujours bonne : « Mon pauvre Mandola, vous devez être bien fatigué ?… Salomé, donnez-lui du meilleur vin ! »

— Et Salomé ! m’écriai-je ; est-elle mariée aussi ?

— Oh ! celle-là ne se mariera jamais. C’est toujours la même fille, pas plus vieille, pas plus jeune ; ne souriant jamais, ne versant jamais une larme, adorant toujours madame, et lui résistant toujours ; chérissant mademoiselle, et la grondant sans cesse ; bonne au fond, mais point aimable… La signora Alezia vous a-t-elle reconnu ?

— Nullement.

— Je le crois ; j’ai eu bien de la peine moi-même à vous reconnaître. On change tant ! Vous étiez si petit, si fluet !

— Mais pas trop, ce me semble ?

— Et moi, continua Mandola avec une tristesse comique, j’étais si leste, si dégagé, si alerte, si joyeux ! Ah ! comme on vieillit !

Je me pris à rire en voyant combien l’on s’abuse sur les grâces de sa jeunesse quand on avance en âge. Mandola était à peu près le même hercule lombard que j’avais connu ; il marchait toujours de côté comme une barque qui louvoie, et l’habitude de ramer en équilibre à la poupe de la gondole lui avait fait contracter celle de ne jamais se tenir sur ses deux jambes à la fois. On eût dit qu’il se méfiait toujours de l’aplomb du sol, et qu’il attendait le flot pour varier son attitude. J’eus bien de la peine à abréger notre entretien ; il y prenait grand plaisir, et moi j’éprouvais un bonheur douloureux à entendre parler de cet intérieur de famille où mon âme s’était ouverte à la poésie, à l’art, à l’amour et à l’honneur. Je ne pouvais me défendre d’une secrète joie pleine d’attendrissement