Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/296

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Quant à la mère Féline, Asolo n’y comprit rien du tout. Il pensa que l’affection de Fiamma pour cette vieille venait de quelque habitude de dévote, de quelque association de chapelet ou d’ex-voto. Jeanne passait sa vie à jeûner pour donner son pain aux pauvres ; elle soignait les malades et instruisait les orphelins dans la religion. Le marquis pensa qu’elle était le ministre des charités, la surintendante des aumônes de la châtelaine ; et, empressé de complaire à tout ce qui plaisait à Fiamma, il se mit à chanter des cantiques à madame Féline. Il avait une voix magnifique, et le soir, dans le silence du parc ou du verger, tous se taisaient pour l’écouter. La bonne Jeanne était émue jusqu’aux larmes de cette pure mélodie italienne qu’elle entendait pour la première fois de sa vie, et pendant ce temps le marquis se réjouissait de faire souffrir son pâle et silencieux rival.

On prétend que les femmes seules ont le secret de ces petites rivalités d’amour-propre. J’en appelle à tout homme de bonne foi : est-il un de nous qui n’ait eu envie de jeter par la fenêtre un rival assez heureux pour attendrir par ses chants la femme que nous aimons ? Ne sommes-nous pas jaloux de sa science, de son esprit, de sa réputation, de son cheval, de son habit ? Ne trouvons-nous pas fort mauvais que notre maîtresse s’aperçoive de ses avantages ? Plus ces avantages sont puérils, plus nous en sommes blessés.

Simon souffrait horriblement. Cette parenté, cette familiarité, ce dialecte qu’il ne comprenait pas, cette habitation actuelle sous le même toit, tout le blessait. Dans les premiers jours cependant il trouvait naturel que Fiamma eût du plaisir à retrouver un parent, un compatriote, un débris de sa chère république ; mais, lorsqu’il vit cette prétendue visite se prolonger indéfiniment et ce compatriote devenir un ami, il le craignit d’abord comme tel ;