Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/303

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je veux lever tout à fait le voile qui me couvre à vos yeux, et vous montrer le fond de mon cœur. J’ai dans le sang une ardeur martiale qui m’égare souvent et me jette dans un monde imaginaire où nulle affection humaine ne semble pouvoir me suivre. Vous devez croire que la guerre et les aventures sont les seules passions que je connaisse. Eh bien ! sachez que ce n’est là qu’une face de mon être. J’ai cru longtemps n’en avoir pas d’autre ; mais j’ai reconnu depuis peu que c’était une maladie de mon âme oisive, et qu’une passion plus vraie, plus douce, plus conforme à la destinée que le ciel marque aux femmes, dominait et calmait dans mon cœur ces agitations fébriles, ces désirs presque féroces de vengeance politique. Cette passion, c’est l’amour. Vous êtes mon parent, soyez mon confident et mon ami. Nous allons nous quitter bientôt, sans doute. Vous allez revoir l’Italie où je ne retournerai plus. Peut être ne presserai-je plus jamais votre main loyale. Souvenez-vous, quand nous serons de nouveau séparés par les Alpes, que, ne pouvant rien vous offrir pour marque d’amitié et vous laisser comme gage de souvenir, je vous ai donné le secret de mon cœur et l’ai mis dans le vôtre. J’aime Simon Féline. »

Le marquis fut tellement bouleversé de cette naïve confidence qu’il eut un véritable mouvement de fureur et de désespoir. Tournant un regard inexprimable vers le ciel, puis sur sa cousine, il eut envie de jurer, de pleurer et de rire en même temps ; mais comme chez les hommes de sa trempe l’affection et la vanité ne se détrônent jamais complètement l’une l’autre, le sentiment de l’orgueil blessé et la crainte d’être ridicule emportèrent son amour, comme le vent balaie la neige nouvellement tombée. Un sang-froid sublime rendit à ses manières la politesse, la grâce et le bon goût avec lesquels doit s’exprimer le plus parfait dédain.