Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/241

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vous qu’aille faire là un homme habitué devant le public à préciser ses gestes, à épier ses entrées, à ne pas dire un mot inutile, à ne pas faire un pas au hasard ? Représenter une action, c’est faire acte de logique et de raisonnement ; dire des riens dont le souvenir s’efface à mesure qu’on les dît, écouter des discussions oiseuses que le bon goût défend même d’approfondir, c’est faire preuve d’usage et de savoir-vivre ; mais c’est ne rien faire du tout, et je sois incapable de me résigner jamais à ne rien faire.

La morale de ceci n’est pas qu’un comédien soit trop supérieur à la réalité pour s’identifier à elle : ne me prêtez pas cette forfanterie ; mais comprenez donc qu’un artiste quelconque a fait de la réalité un moule que sa personnalité occupe et remplit. Là où son empreinte ne marque pas, il ne vit plus, il se pétrifie. J’ai besoin d’être, non pour qu’on voie qui je suis, mais pour sentir que j’existe. Pour le moment, je suis archéologue, antiquaire, numismate ; plus tard, je serai peut-être naturaliste, ou peintre, ou chroniqueur, ou sculpteur, ou romancier, ou agriculteur, que sais-je ? Il faudra que j’aie toujours une passion, une tâche, une curiosité ;