Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/142

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Molière, qui a conçu ce marquis dans d’aussi grandes proportions que le Misanthrope et Tartufe. Moi, je n’aime pas que Don Juan ne soit que le dissoluto castigato, comme on l’annonce, par respect pour les mœurs, sur les affiches de spectacle de la Fenice. Fais-en un héros corrompu, un grand cœur éteint par le vice, une flamme mourante qui essaie en vain, par moments, de jeter une dernière lueur. Ne te gêne pas, mon enfant, nous sommes ici pour interpréter plutôt que pour traduire.

Don Juan est un chef-d’œuvre, ajouta Boccaferri en allumant un bon cigare de la Havane (sa vielle pipe noire avait disparu), mais c’est un chef-d’œuvre en plusieurs versions. Mozart seul en a fait un chef-d’œuvre complet et sans tache ; mais, si nous n’examinons que le côté littéraire, nous verrons que Molière n’a pas donné à son drame le mouvement et la passion qu’on trouve dans le libretto de notre opéra. D’un autre côté, ce libretto est écrit en style de libretto, c’est tout dire, et le style de Molière est admirable. Puis, l’opéra ne souffre pas les développements de caractère, et le drame français y excelle. Mais il manquera toujours à l’œuvre de Molière la scène de dona Anna et le meurtre du Commandeur, ce terrible épisode oui ouvre si violemment et si franchement l’opéra ; le bal où Zerlina est arrachée des mains du séducteur est aussi très-dramatique ; donc le drame manque un peu chez Molière. Il faudrait refondre entièrement ces deux sujets l’un dans l’autre ; mais, pour cela, il faudrait retrancher et ajouter à Molière. Qui l’oserait et qui le pourrait ? Nous seuls sommes assez fous et assez hardis pour le tenter. Ce qui nous excuse, c’est que nous voulons de l’action à tout prix et retrouver ici, à huis clos, les parties importantes de l’opéra que vous chanterez un jour en public. Et puis, de douze acteurs,