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le château des désertes.

roman qu’on va lire, il y devint une étude sérieuse, et y prit des proportions si différentes de l’original, que mes pauvres enfants, après l’avoir lu, ne regardaient plus qu’avec chagrin le paravent bleu et les costumes de papier découpé qui avaient fait leurs délices. Mais à quelque chose sert toujours l’exagération de la fantaisie, car ils firent eux-mêmes un théâtre aussi grand que le permettait l’exiguïté du local, et arrivèrent à y jouer des pièces qu’ils firent, eux-mêmes aussi, les années suivantes.

Qu’elles fussent bonnes ou mauvaises, là n’est point la question intéressante pour les autres : mais ne firent-ils pas mieux de s’amuser et de s’exercer ainsi, que de courir cette bohème du monde réel, qui se trouve à tous les étages de la société ?

C’est ainsi que la fantaisie, le roman, l’œuvre de l’imagination, en un mot, a son effet détourné, mais certain, sur l’emploi de la vie. Effet souvent funeste, disent les rigoristes de mauvaise foi ou de mauvaise humeur. Je le nie. La fiction commence par transformer la réalité ; mais elle est transformée à son tour et fait entrer un peu d’idéal, non pas seulement dans les petits faits, mais dans les grands sentiments de la vie réelle.

GEORGE SAND.
Nohant 17 janvier 1853