Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/151

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qui m’ont obligé avec la pensée de le faire gratuitement sont remboursés aussi malgré eux. Dans un mois, je crois que nous aurons terminé ce fastidieux travail et que notre tâche sera accomplie. C’est alors seulement qu’on saura la vérité sur mon compte. Il nous restera encore une fortune très-considérable, et dont j’espère que nous ferons bon usage. Si j’écoutais mon penchant, je donnerais à pleines mains, sans trop savoir à qui ; mais j’ai trop fréquenté les paresseux et les débauchés, j’ai eu trop affaire aux escrocs de toute espèce pour ne pas savoir un peu distinguer. Je dois mon aide aux mauvaises têtes, mais non aux mauvais cœurs.

« D’ailleurs, ma fille a pris la gouverne de ma fortune, et, pour ne plus faire de folies, je lui ai tout abandonné. Elle fera aussi des folies généreuses, mais elle n’en fera pas de sottes et de nuisibles. Tenez, ajouta-t-il en tirant deux ailes du paravent qui nous cachait la moitié de la table, voyez : voici la femme de cœur et de conscience entre toutes ! Rien ne la rebute, et cette âme d’artiste sait s’astreindre au métier de teneur de livres pour sauver l’honneur de son père ! »

Nous vîmes la Cécilia penchée sur le bureau, écrivant, rangeant, cachetant et pliant avec rapidité, sans se laisser distraire par ce qu’elle entendait. Elle était pâle de fatigue, car cette double vie d’artiste et d’administrateur devait briser ce corps frêle et généreux ; mais elle était calme et noble, comme une vraie châtelaine, dans sa robe de soie verte. Je m’aperçus qu’elle avait coupé tout de bon ses longs cheveux noirs. Elle avait fait gaiement ce sacrifice pour pouvoir jouer les rôles d’homme, et cette chevelure, bouclée sur le cou et autour du visage, lui donnait quelque chose d’un jeune apprenti artiste de la renaissance ; elle avait trop de mélancolie dans l’habitude de la physionomie pour rappeler le page espiègle ou le seigneur