Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/51

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Mon père sort du café. Il est très-animé à cette heure-ci, et Célio n’est guère disposé à entendre une théorie sur le néant de la gloire. Venez, mon ami ! »

Elle s’empara de mon bras, et courut à la loge de Célio. Il devait se passer bien du temps avant que l’occasion de lui dire mon amour se retrouvât.

Le vieux Boccaferri était fort débraillé et à moitié ivre, ce qui lui arrivait toujours quand il ne l’était pas tout à fait. Célio, tout en se lavant la figure avec de la pâte de concombre, frappait du pied avec fureur.

— Oui, disait Boccaferri, je te le répéterai quand même tu devrais m’étrangler. C’est ta faute ; tu as été mauvais, archimauvais ! Je te savais bien mauvais, mais je ne te croyais pas encore capable d’être aussi mauvais que tu l’as été ce soir !

— Est-ce que je ne le sais pas que j’ai été mauvais, mauvais ivrogne que vous êtes ? s’écria Célio en roulant sa serviette convulsivement pour la lancer à la figure du vieillard ; mais, en voyant paraître Cécilia, il atténua ce mouvement dramatique, et la serviette vint tomber à nos pieds.— Cécilia, reprit-il, délivre-moi de ton fléau de père ; ce vieux fou m’apporte le coup de pied de l’âne. Qu’il me laisse tranquille, ou je le jette par la fenêtre !

Cette violence de Célio sentait si fort le cabotin, que j’en fus révolté ; mais la paisible Cécilia n’en parut ni surprise ni émue. Comme une salamandre habituée à traverser le feu, comme un nautonier familiarisé avec la tempête, elle se glissa entre les deux antagonistes, prit leurs mains et les força à se joindre en disant : — Et pourtant vous vous aimez ! si mon père est fou ce soir, c’est de chagrin ; si Célio est méchant, c’est qu’il est malheureux, mais il sait bien que c’est son malheur qui fait déraisonner son vieil ami.