Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/55

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qu’il me cause. Qu’il vienne, qu’il se fâche, restons ! » C’était charmant, n’est-ce pas, monsieur Salentini ? mais je ne restai point. J’attendais cette belle dame à l’épreuve de mon succès ou de ma chute. Si vous voulez venir avec moi chez elle, nous rirons. Tenez, voulez-vous ?

— Non, Célio ; ce n’est pas avec les femmes que je veux faire de la force ; les coquettes surtout n’en valent pas la peine. L’ironie du dépit les flatte plus qu’elle ne les mortifie. Ma vengeance, si vengeance il y a, c’est la plus grande sérénité d’âme dans ma conduite avec celle-ci désormais.

— Allons, vous êtes meilleur que moi. Il est vrai que vous n’avez pas été chuté ce soir, ce qui est fort malsain, je vous jure, et crispe les nerfs horriblement ; mais il me semble que vous êtes un calmant pour moi. Ne trouvez pas le mot blessant : un esprit qui nous calme est souvent un esprit qui nous domine, et il se peut que le calme soit la plus grande des forces de la nature.

— C’est celle qui produit, lui dis-je. L’agitation, c’est l’orage qui dérange et bouleverse.

— Comme vous voudrez, reprit-il ; il y a temps pour tout, et chaque chose a son usage. Peut-être que l’union de deux natures aussi opposées que la vôtre et la mienne ferait une force complète. Je veux devenir votre ami, je sens que j’ai besoin de vous, car vous saurez que je suis égoïste et que je ne commence rien sans me demander ce qui m’en reviendra ; mais c’est dans l’ordre intellectuel et moral que je cherche mes profits. Dans les choses matérielles, je suis presque aussi prodigue et insouciant que le vieux Boccaferri, lequel serait le premier des hommes, si le genre humain n’était pas la dernière des races. Tenez, il a raison, ce Boccaferri, et j’avais tort de ne pas vouloir supporter son insolence tout à l’heure. Il m’a dit la vérité. J’ai perdu la partie parce que j’étais