était si humble dans sa grandeur, cette âme incomparable, qu’elle craignait toujours de détruire mon individualité en y substituant la sienne. Elle me développait dans le sens que je lui manifestais, elle me prenait tel que je suis, sans se douter que je puisse être mauvais. Ah ! c’est là aimer, et ce n’est pas ainsi que nos maîtresses nous aiment, convenez-en.
— Comment se fait-il que, comprenant si bien la grandeur et la beauté du dévouement dans l’amour, vous ne le sentiez pas vivre ou germer dans votre propre sein ?
— Et vous, Salentini, répondit-il en m’arrêtant avec vivacité, que portez-vous ou que couvez-vous dans votre âme ? Est-ce le dévouement aux autres ? non, c’est le dévouement à vous-même, car vous êtes artiste. Soyez sincère, je ne suis pas de ceux qui se paient des mots sonores vulgairement appelés blagues de sentiment.
— Vous me faites trembler, Célio, lui dis-je, et, en me pénétrant d’un examen si froid, vous me feriez douter de moi-même. Laissez-moi jusqu’à demain pour vous répondre, car me voici à ma porte, et je crains que vous ne soyez fatigué. Où demeurez-vous, et à quelle heure secouez-vous les pavots du sommeil ?
— Le sommeil ! encore une blague ! répondit-il ; je suis toujours éveillé. Venez me demander à déjeuner aussitôt que vous voudrez. Voilà ma carte.
Il ralluma son cigare au mien, et s’éloigna.
V. — DÉPIT.
J’étais fatigué, et pourtant je ne pus dormir. Je comptai les heures sans réussir à résumer les émotions de ma soirée et à conclure avec moi-même. Il n’y avait qu’une chose certaine pour moi, c’est que je n’aimais plus la