Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/73

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mon adresse : Adorno Salentini, place… n°… Rien n’y manquait.

Je retombai anéanti, dévoré d’une affreuse inquiétude, en proie à de noirs soupçons, consterné d’avoir perdu la trace de Cécilia et de celui qui pouvait me la disputer ou m’aider à la rejoindre. Je me crus joué. Des jours, des semaines se passèrent, je n’entendis parler ni de Célio ni des Boccaferri. Personne n’avait fait attention à leur brusque départ, puisqu’il s’était effectué presque avec la clôture de la saison musicale. Je lisais avidement tous les journaux de musique et de théâtre qui me tombaient sous la main. Nulle part il n’était question d’un engagement pour Cécilia ou pour Célio. Je ne connaissais personne qui fût lié avec eux, excepté le vieux professeur de mademoiselle Boccaferri, qui ne savait rien ou ne voulait rien savoir. Je me disposai à quitter Vienne, où je commençais à prendre le spleen, et j’allai faire mes adieux à la duchesse, espérant qu’elle pourrait peut-être me dire quelque chose de Célio.

Toute cette aventure m’avait fait beaucoup de mal. Au moment de m’épanouir à l’amour par la confiance et l’estime, je me voyais rejeté dans le doute, et je sentais les atteintes empoisonnées du scepticisme et de l’ironie. Je ne pouvais plus travailler ; je cherchais l’ivresse, et ne la trouvais nulle part. Je fus plus méchant dans mon entretien avec la duchesse que Célio lui-même ne l’eût été à ma place. Ceci la passionna pour, je devrais dire contre moi : les coquettes sont ainsi faites.

L’inquiétude mal déguisée avec laquelle je l’interrogeais sur Célio lui fit croire que j’étais resté jaloux et amoureux d’elle. Elle me jura ne pas savoir ce qu’il était devenu depuis la malencontreuse soirée de son début ; mais, en me supposant épris d’elle et en voyant avec quelle assurance je le niais, elle se forma une grande