Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/80

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me serrèrent le cœur. Je retombai sur le sofa, et je me mis a pleurer, à sangloter, presque, comme un enfant qui subit une pénitence et se désole à l’aspect de la chambre qui va lui servir de prison.

Tout à coup une voix de femme qui chantait dans la rue me fit entendre les premières phrases de cet air du Don Juan de Mozart :

Vedrai, Carino

Se sei buonfuo,

Che bel rimedio

Ti voglio dar.

Était-ce un rêve ? J’entendais la voix de Cécilia Boccaterri. Je l’avais entendue deux fois dans le rôle de Zerline, où elle avait une naïveté charmante, mais où elle manquait de la nuance de coquetterie nécessaire. En cet instant, il me sembla qu’elle s’adressait à moi avec une tendresse caressante qu’elle n’avait jamais eue en public, et qu’elle m’appelait avec un accent irrésistible. Je bondis vers la porte ; je m’élançai dehors : je ne trouvai que le vetturino qui dételait. Je me livrai à mille recherches minutieuses. La rue et tous les alentour étaient déserts. Il faisait à peine jour, et une bise piquante soufflait des montagnes. « Reviens demain, dis-je à mon conducteur en lui donnant un pourboire ; je ne puis partir aujourd’hui. »

Je passai vingt-quatre heures à chercher et à m’informer. Je demandais la Boccaferri, son père et Célio, au ciel et à la terre. Personne ne savait ce que je voulais dire. L’un me disait que le vieil ivrogne de Boccaferri était mort depuis dix ans ; l’autre, que ce Boccaferri n’avait jamais eu de fille ; tous, que le fils de la Floriani devait être en Angleterre, parce qu’il avait traversé Turin deux mois auparavant en disant qu’il était engagé à Londres.