Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/97

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nous sommes sauvées, ma fille et moi, parce que nous ne doutions pas qu’un crime n’eût été commis, et nous ne voulions pas être appelées comme témoins : cela fait toujours du tort à de pauvres gens comme nous de témoigner contre les riches ; on s’en aperçoit plus tard. Si bien que nous n’avons pu fermer l’œil de toute la nuit ; mais le lendemain tout le monde se portait bien dans le château : les demoiselles riaient et chantaient dans le jardin comme à l’ordinaire, et M. le marquis a été à la messe, car c’était un dimanche. Seulement les domestiques nous ont dit qu’ils avaient brûlé dans la nuit plus de cinquante bougies, et que tout le souper avait été mangé jusqu’au dernier os.

— Ah ! il me paraît qu’ils fêtent joyeusement le diable ?

— Tous les soirs, un bon souper de viandes froides, avec des gâteaux, des confitures et des vins fins, leur est servi dans la salle à manger, en même temps qu’on dessert leur dîner. On ne sait pas à quelle heure ni avec quels convives ils le mangent ; mais ils ont affaire à des esprits qui ne se nourrissent pas de fumée. Le matin, on trouve les fauteuils rangés en cercle autour de la cheminée du grand salon, et dans tout le reste de la maison il n’y a pas trace du remue-ménage de la nuit. Seulement, il y a toute une partie du château, celle qu’on n’habite plus depuis longtemps, qui est fermée et cadenassée de façon à ce que personne ne puisse y mettre le bout du nez. Ils ont, au reste, fort peu de domestiques pour une si grande maison et tant de maîtres. Ils n’ont encore reçu personne, si ce n’est le maire et le curé, lesquels ont vu seulement M. le marquis dans son cabinet, sans qu’aucun de ses enfants ait paru, excepté sa fille aînée. Les demoiselles n’ont pas de filles de chambre, et semblent tout aussi habituées que les messieurs à se servir elles-