Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/107

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qu’elle faisait de la musique, et lui, il se cachait pour l’écouter. Je ne pouvais entrer chez elle sans le trouver comme toujours entre nous deux.

Je ne voulus pas céder au sentiment de dépit injuste qui s’emparait de moi. Du moment qu’il se tenait caché derrière la porte, ce n’était pas pour lui que le noble instrument parlait. J’entrai dans la salle comme il se taisait, et, au même moment, je vis Tonino s’enfuir par une autre porte, comme s’il eût espéré que je ne l’apercevrais pas. Souple comme un serpent, il descendit sans bruit l’escalier intérieur, j’étais venu par celui qui donnait sur le rocher.

Pourquoi fuyait-il ? Parce que ce n’était pas l’heure de la musique, mais celle du travail ? Je n’étais pas chargé de le surveiller, moi, et je ne le reprenais jamais. Craignait-il d’être surpris et grondé par la patronne ? Elle ne grondait plus personne. Elle voulait plaire, elle savait qu’une femme en colère est laide ; sa figure avait perdu tous les plis qui l’assombrissaient, elle était belle, elle était rajeunie ; la douceur, la mélancolie touchante, régnaient sur son front désormais à toute heure. Telle elle m’apparut au seuil de la chambre… Mais pourquoi Tonino avait-il pris la fuite à mon approche ?

Je ne sus que lui dire ; mon cœur plein de confiance s’était tout à coup glacé. Elle ne me demanda pas ce que je voulais, elle n’avait plus pour moi que de muettes prévenances, ses yeux mêmes n’osaient interroger les miens ; elle était devenue timide comme