Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/110

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m’en défendais en vain, j’étais jaloux ! De quel droit ? Je n’en avais aucun ; pourtant j’avais au moins quelque sujet de plainte. Félicie avait beau se taire et se renfermer dans sa pudeur, elle sentait bien que je n’ignorais plus son amour, et, si nous n’étions pas déjà loyalement fiancés, c’est que j’avais manqué de confiance. Ne voyait-elle pas mes perplexités, et ne pouvait-elle, ne devait-elle pas en saisir la cause ? Cette cause me paraissait si claire ! mon attitude et mes paroles ne l’avaient-elles pas trahie ? Félicie manquait-elle de tact et de pénétration, ou bien était-elle résolue à fermer les yeux sur une injustice dont elle comptait me voir guéri par la force de la vérité ? Déjà plusieurs fois elle s’était donné la peine d’aller au-devant de mes soupçons et de me parler de son fils adoptif de manière à ramener ma confiance. D’où vient qu’elle ne m’en parlait plus et qu’elle feignait de ne pas deviner le besoin que j’avais d’être rassuré ? Se plaisait-elle à me voir souffrir ? Est-ce dans cette souffrance qu’elle cherchait la révélation ou la progression de mon amour ?

Elle me connaissait mal ; je n’aime pas les mauvaises passions, et je sais m’en défendre, tout faible et naïf que je suis. Quand ma conscience me montre dans son miroir l’image enlaidie et troublée de mon âme, l’horreur du laid et le dégoût du mesquin me saisissent, et je me condamne si sévèrement, que je m’abstiens de vivre plutôt que de consentir à vivre dans une région indigne de moi.