Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/126

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bas de son cheval, sans s’inquiéter de le retenir auparavant. Est-ce que j’ai rêvé cela ? est-ce que mon frère est mort ? Non, ce n’est pas arrivé ; dites-moi que je dors, réveillez-moi, tuez-moi plutôt que de me laisser continuer ce rêve ?

Et elle marchait au bord du précipice, sans savoir où elle était ni où elle voulait aller.

Je vis que la crise était venue. Je me hâtai d’attacher les chevaux ensemble, je courus auprès d’elle, je l’arrêtai, je lui parlai, je tâchai de provoquer les larmes ; mais, avec une exaspération terrible, elle me repoussa.

— Laissez-moi, dit-elle, laissez-moi mourir, je le veux ! Qu’est-ce que cela vous fait, à vous qui ne m’aimez pas ? Un seul être m’a aimée, c’est lui, et il est mort, et je ne le verrai plus !

Elle voulait alors se jeter dans l’abîme ; je ne pus l’en empêcher qu’en lui parlant du corps de son frère qui allait arriver bientôt, et à qui elle devait rendre les derniers devoirs. Elle se soumit et me jura qu’elle n’attenterait pas à sa vie. Je crus ajouter à sa résignation en lui parlant de son oncle et de Tonino, ces derniers représentants de sa famille, qui avaient besoin de son appui et de son dévouement. Le souvenir de son vieux parent la frappa de respect ; mais, quand je nommai le jeune homme, elle me défendit avec amertume de lui en parler jamais.

J’essayai de lui persuader de remonter à cheval ; nous étions à trois lieues de la maison, et je sentais