Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/194

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Certes à cette époque d’adoption paternelle d’une âme orageuse et tourmentée, j’étais meilleur que je ne l’avais jamais été, j’étais pour ainsi dire meilleur que moi-même. Quand ma compagne me disait : « Je ne vous savais pas encore aussi bon que vous l’êtes, » je lui répondais en toute sincérité :

— C’est que je n’étais pas si bon avant de vous aimer autant.

Ce bonheur dura deux ans. Il ne se compléta point pour moi par les joies de la paternité, et, à présent, hélas ! je remercie la destinée de m’avoir épargné un terrible sujet de trouble et d’incertitude. Félicie se flattait toujours de devenir mère. Un vieux médecin qui l’avait soignée dès son retour d’Italie, et que je consultai sur son état général, m’apprit que je ne devais pas entretenir de vaines espérances. En même temps, il m’engagea à ne pas trop en dissuader ma compagne.

— Ce rêve de la maternité est chez elle une passion. Faites attention au moral ! C’est un esprit fortement trempé ; mais les idées sont fixes, les volontés exaltées, les instincts tenaces, et la force vitale ne répond pas à l’énergie qu’elle dépense. Je me suis étonné de lui voir accepter la mort de son frère. J’aurais cru qu’elle y laisserait la vie ou la raison. À présent, je m’explique sa résignation et son courage, elle vous aimait ! Rendez-la toujours heureuse si vous voulez la conserver. Elle ne résisterait pas à un nouveau malheur.