Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/231

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me frapper ; je paralysai son bras sans lui rendre la pareille. Alors, voyant que je n’en viendrais là qu’à la dernière extrémité, il n’osa plus s’écarter des règles de la lutte. Malgré sa force et son courage, il était très-ému, et, saisi par l’impression sinistre du lieu où nous nous trouvions, il avait dans le regard je ne sais quoi de lugubre et de terrifié. Je vis bien vite qu’il était perdu si je le voulais, et je le ménageai, cherchant à lui faire sentir ma supériorité sans en abuser. Au bout d’un instant, il tombait assez rudement et je le tenais sous moi. Je lui serrai la gorge sans colère, et, comme il ne demandait pas grâce, je la lui offris.

— À quelles conditions ? dit-il en bégayant de chagrin et de honte.

— À la condition que vous ne parlerez jamais de ma femme ni de moi, en bien ni en mal.

Il le jura. Je l’aidai à se relever et à se rhabiller. Il était abattu et comme abruti. Il me suivit machinalement dehors jusqu’à une petite source, où il but à plusieurs reprises. Quand je vis qu’il n’avait aucune contusion grave, puisqu’il avait tous les mouvements libres, et que le ton violacé de sa figure s’effaçait sous la salutaire fraîcheur de l’eau, je le quittai. Il me rappela, et, en me retournant, je vis qu’il pleurait. J’allai vers lui.

— Vous m’avez humilié, dit-il, oh ! bien humilié !

— Vous vouliez que je le fusse par vous : le sort a décidé.

— Le sort ? Oui, c’est cela ! je n’avais pas ma force